TÉMOIGNAGE
La tradition du zen Sôtô se caractérise souvent par son pragmatisme et sa simplicité. Les messages des premiers maîtres zen arrivés en terre d’Occident étaient des plus clairs : le zen se fonde sur l’expérience de la méditation – Zazen. Or, si le fondateur, maître Deshimaru, avait tout de suite relié la pratique de la méditation à celle des préceptes et des cérémonies, si les maîtres lui succédant avaient fait de même, certains pratiquants s’étaient pendant longtemps concentrés sur l’assise silencieuse.
Aussi, quand au mois de juin dernier, une cérémonie traditionnelle d’O-jukai a été organisée, pour la première fois et sur plusieurs jours, au temple zen de la Gendronnière (par des moines japonais, en collaboration avec des moines européens, et à l’initiative du maître Minamizawa Roshi, vice-zenji du temple d’Eihei-ji – l’un des deux temples zen soto principaux du Japon), l’événement avait tout d’une gageure. Pourtant, après quatre jours entiers de rituels, les visages étonnés ou dubitatifs avaient chez beaucoup laissé la place à l’émerveillement.
Voici comment…
Jour d’arrivée
Le temple de la Gendronnière est plein de la cave au grenier ! Des pratiquants de toute l’Europe ont fait le déplacement accompagnant leurs maîtres. Plus de 350 personnes réunies pour faire, ensemble, l’expérience de rituels dont les préparations ont commencé l’année précédente, au Japon. Un long parcours et beaucoup de travail en amont pour une collaboration entre le Japon et l’Europe. Une occasion aussi pour ces moines et nonnes de tous âges, venant de cultures si différentes, de faire mieux connaissance et d’apprendre à travailler ensemble.
C’est l’heure des retrouvailles ou de faire connaissance. Les première explications sont données et règne parmi les kaite une douce effervescence. Les kaite, ce sont les quelque 150 chanceux venus pour recevoir les préceptes. Ils sont logés ensemble, prennent leurs repas à part et seront guidés pas à pas, heure par heure et jour après jour dans ce qu’on peut appeler : une traversée.
Premier jour
5h : la journée débute par une période de zazen, en silence, avant le début des cérémonies. Chants de sutras, dédicaces, offrandes d’encens, de thé ou d’eau sucrée se succèdent, rythmés par les gongs, cymbales et autres mokugyo (instrument à percussion). Puis arrive le kaishi, le maître des préceptes, venu offrir à l’assemblée quelques mots du Dharma. Maître Minamizawa est un très vieux maître (plus de quatre-vingt-dix ans, le plus âgé sans doute de tous les participants) peinant à se déplacer, mais faisant montre d’une énergie communicative. Pendant ces quelques jours, ses interventions, rares et précieuses, auront le goût du miel.
La cérémonie d’O-jukai a officiellement commencé mais… de quoi s’agit-il ? Rien de moins que de recevoir les 16 préceptes (kai) fondamentaux de la tradition zen : les trois purs préceptes, la prise de de refuge dans les Trois Trésors et les dix grands préceptes. Les préceptes seront remis le troisième jour, à l’issue de plusieurs étapes marquantes.
Pour l’heure, une importante cérémonie se prépare intitulée : « inviter les êtres sacrés ». Sous cette terminologie ésotérique, se cache une dimension mystique, invisible, qui transparaît avec délicatesse, en filigrane, dans le bouddhisme zen. Elle est peu évoquée mais tout à fait prégnante, comme un vernis composé avec soin sur un tableau de maître.
C’est donc dans cette atmosphère « suspendue » que maître Nara commencera, l’après-midi même, ses enseignements sur les préceptes. Il a lui aussi magnifiquement dépassé les quatre-vingts ans et son enseignement manifeste un esprit de tolérance et de concorde permettant à toute l’assemblée de s’identifier au chemin proposé.
Deuxième jour
Au vu du nombre de participants, un chapiteau a été monté devant le grand dojo. C’est là que nous pratiquons zazen, sous une petite brise rafraichissante. Trois cent cinquante personnes méditant ensemble, matin et soir : un vrai trésor. C’est en fait le seul moment où nous sommes rassemblés car la moitié des participants sont venus au temple de la Gendronnière comme « assistants ». Ils constituent la véritable colonne vertébrale de ces cérémonies. Qu’ils s’occupent de la cuisine, du service, du nettoyage ou de l’organisation (inouïe) des cérémonies, tous vaquent à leurs activités du matin au soir avec concentration et dévouement. Et les journées sont longues ! Les assistants effectueront ainsi à leur manière une traversée, avec le don de soi comme horizon.
En ce deuxième jour, enseignements et rituels se poursuivent, répartis entre maîtres européens et japonais. Les premiers sont venus en nombre avec leurs disciples pour assister à l’événement. Des maîtres de l’Association Zen Internationale bien entendu mais également d’autres sanghas du zen européen, dans une mixité bienfaisante. Au vu du nombre élevé d’enseignants, les kaite auront ainsi la chance de bénéficier chaque jour d’échanges en petit groupe avec un maître, moments très appréciés.
Dans la soirée, hommage aux bouddhas et aux patriarches : des centaines de prosternations concluent la journée, et puis… silence…
Troisième jour
Les visages commencent à présenter des signes de fatigue. Chaque pratique (repas, cérémonies, enseignements), du fait de sa nouveauté, demande énormément de concentration et de disponibilité. Nous faisons de notre mieux mais, parfois, avouons-le, il est agaçant d’être guidé non stop, du matin au soir, dans le moindre détail. Comme une sensation désagréable d’être retourné à l’école, avec son cortège d’émotions ambivalentes.
Et puis, c’est l’heure de la cérémonie en hommage à maître Deshimaru, le fondateur. Derrière sa tombe, en surplomb, un chêne tricentenaire contemple l’assemblée. Chants de sutras et offrandes d’encens montent jusqu’à lui et l’agacement laisse la place à la gratitude.
Dans le soir qui descend, la salle des cérémonies (hatto) résonne de bruissements furtifs. La lueur des bougies dessine des ombres chinoises, mystérieux ballet. À l’intérieur une importante cérémonie (secrète) est en train d’avoir lieu. Les kaite font « repentance » ou plutôt, ils déposent entre les mains des vieux maîtres tout ce qui les empêchait encore d’avancer. Cérémonie de la prise de conscience, du lâcher-prise et du renouveau : les larmes qui coulent sont les « larmes de l’Eveil ».
Quatrième jour
La journée passe dans une joyeuse tranquillité. La cérémonie de la veille au soir a fait place nette et les cœurs sont légers. De nombreuses répétitions ont encore lieu en prévision du rituel du soir : la réception des préceptes conférés par le plus vieux maître, représentant du Bouddha. Là encore, aucune image ni vidéo est n’autorisée, afin de préserver la solennité du moment.
Dans le hatto faiblement éclairé, l’assemblée des maîtres a le visage grave : européens ou japonais, ils sont les Grands Témoins de cette transmission, venue du fond des âges. Les kaite sont invités, par petit groupes, à monter sur l’estrade pour prendre symboliquement la place du Bouddha. Une fois qu’ils y sont installés, l’assemblée des maîtres entonne des mantras et tourne en procession autour d’eux. Les kaite retournent à leur place, un peu groggy, sachant pourtant que ce qui a eu lieu touchait à l’essentiel.
Et puis, encore une fois, le silence.
Cinquième jour
L’événement se termine. Il s’agit maintenant d’appliquer les préceptes au quotidien. Cela tombe bien car c’est le moment de ranger, nettoyer et repartir, sans laisser de traces. Alors chacun prend le temps, peut-être plus que d’habitude, pour prendre soin des choses et rester concentré.
Mais tout n’est pas fini : il est l’heure maintenant de laisser repartir les « Êtres sacrés » qui ont veillé sur ces cérémonies. Un dernier rituel se déroule, lequel (semblerait-il) n’a pas tout à fait fonctionné : les Êtres sacrés, en effet, ne sont pas repartis. Ils sont simplement restés là, dans le cœur des participants.
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Retrouvez plus d’informations sur le temple zen de la Gendronnière www.zen-azi.org