Le constat de l’effondrement, point de vue bouddhiste
À moins d’avoir vécu dans une île déserte les 10 dernières années, les nouvelles du monde ne sont pas brillantes. Les théoriciens de “l’effondrement” nous prédisent des années sombres, la baisse notoire de nos niveaux de vie, sans compter la recrudescence d’épidémies, famines, guerres aux portes des pays riches, voire en leur sein. C’est la prise de conscience que, quoique l’on fasse aujourd’hui, c’est déjà trop tard. Les climatologues le disent depuis des années. Les scientifiques également. Pendant longtemps, ils n’ont pas été entendus. Mais la tendance s’est inversée et, depuis quelques mois, le message déferle, avec la force d’un tsunami: vous, moi n’allons peut-être pas vivre aussi longtemps que prévu. Vous, moi, allons sans doute manquer du nécessaire. Vous, moi, allons peut-être voir mourir nos enfants, parents, animaux familiers faute de médicaments.
Le mouvement est lancé, les signes sont déjà là. Le réchauffement climatique va rendre de nombreuses zones du globe inhabitables. Les extrêmes de températures vont ruiner des récoltes entières, sans que les solutions techniques ne soient pour le moment disponibles. L’an dernier dans mon petit coin d’Alsace, le fourrage pour les animaux a manqué. Les paysans ont organisé des systèmes d’entraides en tablant sur une bonne récolte de foin pour cette année… Croisons les doigts!
Quel champ d’action?
Cet article n’a pas pour but de vous convaincre de l’effondrement. Je laisse pour ce faire la place à Pablo Servigne, Agnès Sinai ou Vincent Mignerot, dont vous trouverez les remarquables conférences sur le web. Il ne s’agit pas non plus de lancer un vaste mouvement de “dépression de groupe”. Là encore, je laisse la place à certains médias passés maîtres dans l’art d’activer les peurs collectives, sans que la vertu cathartique de cette méthode soit pour le moins avérée.
Rien de tout cela donc: mon propos se veut plutôt constructif. À savoir, proposer quelques modestes pistes – issues du bouddhisme – pour apprivoiser les émotions découlant de ce changement brutal de paradigme.
Le constat de l’effondrement – brutal ou progressif, nous l’ignorons – étant posé: comment réagir? Pourquoi? Est-ce que cela vaut la peine?
Un témoignage
Lorsque j’ai découvert ces théories de l’effondrement il y a quelques mois, j’ai passé plusieurs jours dans un état second. En état de choc. Le corps ne répondait plus vraiment: il semblait engourdi, comme enveloppé d’une camisole cotonneuse. Pour éviter une trop grande souffrance (“Je vais bientôt mourir”, “Je n’aurai peut-être jamais 80 ans”, “Il va y avoir beaucoup de violence dans la société”) et les émotions qui en découlent, mon inconscient a créé un réflexe de survie: l’anesthésie. Mon cerveau quant à lui s’activait pour chercher une porte de sortie. Vite une idée, une réflexion pour arrêter la spirale de la souffrance et de la dépression!
Il y a eu différentes pistes, que connaissent bien ceux qui sont passé par là, et que je vous résume:
- “Je vais disparaître, la majorité de l’humanité va disparaître, mais au moins la Terre sera sauvée”. Cette idée apparaît généralement chez les personnes reliées à la Nature. Celles qui voient déjà les multiples atteintes qui lui sont portées chaque jour et s’en désolent ( Mention spéciale à ce projet ubuesque de construction d’un contournement autoroutier le GCO , à quelques kilomètres de mon monastère. Avec en prime: l’augmentation du trafic, l’extinction d’une espèce animale – le Grand Hamster – et des milliers d’arbres centenaires abattus ). Peut-être donc qu’un jour, la Terre sera sauvée de l’homme. Mais il est désormais prouvé qu’avec l’espèce humaine ce sont également des milliers de plantes, d’arbres, de poissons, de végétaux, d’insectes, de cellules vont s’éteindre, sans rien avoir demandé;
- “Vite! Je vais acheter une carabine, faire des réserves de produits de première nécessité et créer une vie autarcique, loin des misères du monde”. Ce fut le deuxième réflexe, pas très brillant il est vrai, qui n’a pas non plus tenu le coup très longtemps. J’ai rapidement découvert en effet, que les villages et/ou les communautés disposant de réserves sont les premières attaquées en cas de disette. Logique;
- “On va peut-être trouver une nouvelle source d’énergie”. Là, c’est un peu l’argument de la dernière chance: l’idée qu’il y aurait déjà une source énergétique nouvelle, pour remplacer les énergies fossiles, dont l’existence serait dissimulée par les grandes puissances pour des raisons purement financières… hum… La théorie du complot dans son habit de cérémonie! Difficile d’y croire bien longtemps et l’hypothétique ne fait pas le poids devant l’urgence qui s’annonce.
Alors, après quelques jours et quelques semaines, j’ai avancé…
Pas de solution extérieures = chercher à l’intérieur
Les théories de l’effondrement mettent en avant le point suivant: il n’y a pas de solution. Une fois passé le premier choc, ceci a commencé à résonner fortement à mes oreilles bouddhistes. Les thèmes de la vie et de la mort sont en effet prégnants, dans notre pratique. Les maîtres anciens conseillent de méditer “comme si un feu brûle sur votre tête”. Et, quand la maison brûle – pour de vrai – la force de ces enseignements apparaît dans toute sa splendeur.
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Vivre avec la réalité telle qu’elle est
Le surnom du Bouddha n’était pas Bobby, Malou, Bébert ou Pat. On l’appelait gentiment le “Tathagatha”, petit nom poétique signifiant “Venu tel quel” ou “Ainsi Venu”. Comme tout un chacun, il était venu au monde nu comme un ver, tel quel. Mais, contrairement à beaucoup d’autres, il n’a pas oublié cette spontanéité joyeuse de l’enfance, cette naïveté originelle, cette intensité du présent… et l’a retrouvée, une fois adulte. Grâce à sa pratique de la méditation, le Bouddha a pu accéder à la capacité de voir le monde tel qu’il est, sans jugement, interprétation, fuite ou rejet.
Et c’est sans doute le premier pas – difficile – de notre chemin intérieur. Prendre conscience du monde tel qu’il est et non tel que nous le voudrions. Comprendre que notre futur va être très différent de ce que nous imaginions, que malgré toutes nos larmes, nos peurs, nos hontes ou nos désespoirs c’est la réalité, et dire “OK”. “OK, partons de là, de cette nouvelle perspective, de ces manques potentiels, de cette terre abîmée”. Et une fois cela posé, continuer le chemin.
Accueillir les ”émotions de l’effondrement”
Mais cette voie n’est pas simple. Ou plutôt si: très simple à formuler, mais beaucoup moins évident à mettre en pratique. Car, accepter la réalité du moment – l’effondrement – c’est aussi se coltiner la cohorte d’émotions qui l’accompagnent.
Au sujet des émotions – Infos n°1: elles sont un ressenti physique. Notre corps perçoit et exprime différentes émotions tout au long de la journée. Un cœur amoureux qui bat la chamade, des papillons dans le ventre, un serrement à la gorge avant de parler en public, une lourdeur au plexus lors d’un deuil etc.
Au sujet des émotions – Infos n°2: ce sont le plus souvent les émotions qui président à l’action et créent notre représentation du monde. Exemple: j’ai pris du plaisir un jour à écrire un texte, je l’ai partagé, j’en ai écrit d’autres pour retrouver la sensation, et me suis considérée comme “auteure, blogueuse, écrivaine” ou tout autre personnage susceptible de faire naître – en y pensant – l’émotion agréable de l’écriture. Autre exemple: je me suis senti faible et pas la hauteur, j’ai acheté un gros SUV et reprend confiance en moi en pensant “je suis quelqu’un” quand je contemple ma voiture.
En fonction de ces deux paramètres ( les émotions sont un ressenti et les émotions gouvernent nos choix de vie ) le chemin spirituel proposé est le suivant:
- ré-apprendre à ressentir, le corps – le bon et le moins bon – en temps réel. Tel quel. C’est à dire plonger au cœur de sensations;
- expérimenter que ces émotions, ces sensations, sont un mouvement. Elles apparaissent et puis disparaissent, naturellement, suivant le principe de l’impermanence de toutes choses. Elles disparaissent… à condition de ne pas intervenir consciemment en cherchant une solution intellectuelle/rationnelle/interprétative pour échapper à ladite émotion! Elles disparaissent,, à condition de rester en position neutre, et de ne pas forcer le mouvement;
- Accueillir les peurs, hontes, le désespoir en laissant l’émotion dans le corps, sans qu’elle ne puisse remonter vers la tête. Elle pourra alors retrouver sa liberté, et son caractère transitoire.
C’est le chemin qui est proposé dans la méditation zen, et dont je mesure aujourd’hui la valeur. Vous pourrez l’apprendre dans de nombreux lieux en France, si cela vous intéresse.
Prendre les bonnes décisions
Enfin, cette période, cette nouvelle vision de l’avenir, nous invite peut-être à changer nos priorités de vie. Il existe un exercice plutôt radical bien connu des adeptes du développement personnel: le travail sur les valeurs. Il permet à chacun de se connecter à ses rêves (ses valeurs) les plus profonds pour redonner du sens à la vie. Pour mettre en lumière les valeurs, pour les repérer clairement, la personne est invitée à se mettre dans la posture suivante: imaginer qu’il ne lui reste que 2-3 ans à vivre et voir quelles sont ses priorités.
Avec l’effondrement, l’exercice perd son caractère imaginaire pour s’incarner dans le réel. Nous pouvons décider, par désespoir, de tout brûler, de faire la révolution ou de mettre fins à nos jours. Nous pouvons nous relier à nouveau à nos frères humains pour commencer ensemble un nouveau chemin. Nous pouvons prendre à nouveau soin de nos proches et regarder les gens dans les yeux.
En agissant ainsi, nous nous connectons à une nouvelle idée: celle de l’évolution possible de l’humanité, laquelle aura eu besoin d’une – énorme – crise pour commencer à apprendre.
En connaissant nos émotions et en apprenant à choisir nos vies consciemment, nous reprenons le contrôle de l’avenir. Au lieu de rester là, au bord du chemin, complètement désemparé, il est possible d’élaborer une solution. Bien sûr, elle sera intérieure, faute de solution extérieure pour sortir du marasme.
« Je ne peux pas changer le monde, mais peut toujours agir sur la représentation que je m’en fait, et redonner ainsi un sens à ma vie”.
Dit un peu plus clairement, le chemin pourrait désormais être le suivant : “Du fait de l’effondrement, ma vie sera sans doute plus courte, mais elle sera vécue dans l’intensité du présent, le cœur en bandoulière et le corps vibrant”.