Chroniques confinées d’une nonne bouddhiste – les joies de la vie en communauté – lundi 2 novembre
Tous les matins, je nourris une troupe de chats semi-sauvages. Je les ai fait stériliser, leur ai trouvé une source d’approvisionnement alimentaire via une association, leur ai installé des petites cabanes isolées et douillettes pour l’hiver. Bref, ils sont chouchoutés. Cinq petits êtres ondulants et vifs, de toutes les couleurs. Parfois, je leur glisse un peu de magnésium dans leur pâté, pour renforcer leurs défenses immunitaires. Le petite noire et blanche est fragile, elle choppe le moindre rhume.
Donc, chaque matin, ils arrivent en miaulant, d’une voix sur-aigue, pour réclamer leur pitance. Ils se jettent sur les gamelles et engloutissent les plats en moins de cinq minutes, montre en main. C’est ce moment – la satisfaction de les voir rassasiés – qui me donne de l’énergie pour me lever le matin. Je les nourris juste avant la méditation, Zazen, et regrette ce temps si court, trop court, pour contempler leur splendeur. Et puis, juste après, la cloche du dojo m’appelle…
Ce matin, c’est les vacances. J’aurai enfin, enfin ! , le temps de rester auprès d’eux, de longues minutes, pourquoi pas de longues heures et de les regarder s’étirer. Je prépare le plat, soigneusement, me sert un café, et descend, paisible, heureuse, pour m’installer près du château d’eau et nourrir la petite troupe.
« On les a déjà nourri c’est bon » m’annonce le cuisinier avec froideur. « Ils réclamaient ».
Je demande des détails, qui a pris cette initiative, combien de chats étaient présents, combien d’aliments ils ont reçu… Une déception immense m’envahit. Une sensation d’injustice, au petit jour, au coin du coeur. J’attendais ce moment depuis des semaines.
Et puis cette lassitude : devoir à nouveau expliquer, en trois langues, de ne pas nourrir les chats, de ne pas se servir dans la réserve à croquettes, de ne pas empiéter sur les responsabilités des uns et des autres… Même pendant les vacances ! Une vie communautaire confinée, sans attestation de sortie, qui demande des trésors de patience et d’attention à l’autre. Heureusement, nous avons les ressources du détachement pour traverser l’épreuve, et je vais rendre – dans un instant, là je me plaint un peu – ces émotions au vent de l’impermanence. Hop ! Lâcher prise, une fois de plus, c’est ok.
Mais ce matin, j’ai une pensée émue pour les confinés des villes, qui partagent leurs croquettes, leurs envie de silence, leur vie, du matin au soir, avec d’autres êtres humains, et n’ont pas de porte de sortie.
Courage. Derrière tout cela il y a un grand calme, en profondeur, à l’intérieur de nous.