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Zen quotidien

Effraction douce dans un monde bien rangé – chronique spirituelle

Effraction douce dans un monde bien rangé

Chronique publiée dans Psychologie Magazine

« Vous allez bien ? » La petite dame me regarde l’air inquiet, comme pour déceler à tout prix dans le monde qui l’entoure, le reflet de sa propre anxiété. Il y a de quoi frémir en ce moment, pas de doutes. Entre l’inflation, les guerres et les catastrophes naturelles, les raisons de stresser sont pléthoriques et, malgré les conseils bien-être des magazines, beaucoup de personnes ont du mal à se détendre.

Je tente de rassurer la petite dame mais constate assez vite que rien n’y fera : elle a adopté ce fameux biais cognitif – qui fait les délices des chaînes d’infos continues et le chiffre d’affaire des réseaux sociaux – cette croyance délétère des temps modernes : « Méfions-nous, le danger est partout ».

La petite dame a une cinquantaine d’années, les sourcils froncés et un pli amer au coin des lèvres. Le biais cognitif «  danger imminent » semble s’être installé au salon de sa vie depuis bien des années.

Moi : « Oui, je vais bien merci mais il fait très chaud, ce n’est pas normal. On va sûrement le payer… » Je tente, par cette phrase tragique « ambiance Houellebeck », de m’intégrer à son monde intérieur grisonnant, pour créer du lien.

La dame : « Oui, ça fait peur. On ne sait pas à quelle sauce on va être mangés ».

C’est sûr.

Et nous pourrions continuer ainsi, pendant de longues minutes, le concours du plus bel adage sur la noirceur des jours. Mais sa dernière phrase m’a fait sursauter. Elle révèle la détresse devant laquelle se retrouvent beaucoup de personnes, dépassés par les évènements du monde, pensant n’avoir plus aucune prise sur le déroulement de la vie. Madame exprime l’amertume de l’impuissance.

Mon âme de bouddhiste sauveuse du monde se réveille illico ! Impuissante ? Mais non !

La petite dame est le monde lui-même… mais elle ne le sait pas.

Elle a le pouvoir d’animer les heures et d’arrêter la marche du temps… mais elle regarde sa montre.

Elle peut danser sur le chemin… mais elle suit la ligne droite.

Elle est capable de voir… mais ses yeux sont voilés.

Moi «  Vous entendez ? «

« Non… »

« Il y a un moineau qui chante »

Elle écoute, attentive, un peu étonnée par ce changement brutal de conversation. « Ah oui c’est vrai. J’aime bien les oiseaux »

« Et vous entendez, il y des silences très jolis aussi, entre les chants. Comme si l’oiseau reprenait son élan avant de relancer une mélodie… J’adore écouter les oiseaux… »

Elle se concentre, ouvre grandes ses esgourdes, se connecte au chant et reçoit brutalement des bribes de splendeur. Des bouffées de vie pure. Un shoot tellurique d’incandescence vitale, qui vibre jusqu’au fond des cellules. Le discours habituel s’est arrêté.

Nous nous regardons, un peu gênées. Je lui souris : «  Bon, je vais y aller, je dois nourrir les chevaux »

Sa commissure droite s’étire, ébauche un sourire, malhabile : « Ah oui. Allez, bonne après-midi ». La petite dame s’éloigne, un peu différente, la tête vers le ciel.

Pendant ce temps, la mésange bleue, sur une branche, la regarde passer.

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