Dans la plupart des dojos zen, des séances de méditation ( zazen ) pour débutants ont lieu chaque semaine. Avec le défi suivant : transmettre une pratique ardue, demandant patience et persévérance dans une société de consommation rapide. Les rencontres sont diverses, les visions du monde se côtoient et parfois s’entrechoquent… comme ici.
En direct du dojo : rencontre avec Madame
Moi « Pour entrer dans le dojo, la salle de méditation, vous allez franchir la poutre transversale du pied gauche. Puis faire gassho, le salut traditionnel, et choisir votre place. »
La Dame « Mais vous ne faites pas de prosternations en entrant ? Je vais régulièrement dans des centres tibétains et eux ils se prosternent trois fois devant le Bouddha avant d’aller s’asseoir. C’est quand même plus respectueux je trouve. »
Moi « Nous avons aussi des prosternations devant Bouddha, mais à d’autres moments, pendant les rituels par exemple »
La Dame « Et pourquoi du pied gauche ? »
Moi « Parce qu’il fallait en choisir un. Mais nous aurions pu faire le contraire, vous savez. Cela m’aurait sans doute aidé car, depuis toute petite, ces questions de latéralisation me perturbent. Cela vient de mon instituteur de primaire qui nous disait toujours : la main gauche c’est facile, c’est là où le pouce est à droite. Depuis, je bugue. »
Madame me contemple abasourdie. Rien à voir avec les enseignements dharmiques auxquels elle s’attendait. Avec mon discours décalé, j’ai essayé ceci : faire effraction dans un mental analytique qui juge, valorise ou rationalise les choses avant de consentir – ou pas – à les mettre en pratique. La Dame a les cheveux poivre et sel, courts, soigneusement coiffés. Elle porte de vêtements confortables mais coûteux, un mala au poignet gauche et un pendentif Bouddha de belle facture autour du cou. Elle l’a annoncé dès le début : « Pas de vêtements noirs pour elle. Elle a besoin de couleur ».
Et surtout, elle a besoin de comprendre.
Comprendre pourquoi la gauche plutôt que la droite.
Comprendre pourquoi tout ce noir alors que la vie est si belle en couleur.
Comprendre pourquoi les chants sont en japonais alors qu’on est en France quand même.
Comprendre pourquoi les moines et nonnes ne sont pas parfaits.
Comprendre pour quoi ?
Comprendre.
A chercher des réponses, les sourcils se sont froncés et des rides marquées s’entrelacent sur son visage grave. On ne la lui fait pas. Et ce n’est pas cette jeune nonne, qui sort de l’oeuf, qui va lui apprendre quelque chose. Elle aurait préféré un moine ancien, quelqu’un d’un peu sérieux, qui maîtrise son sujet, mais on l’a mise entre les mains d’une novice qui a l’âge d’être sa fille.
Moi « Vous connaissez déjà beaucoup de choses, c’est impressionnant. Alors, je vais juste vous rappeler les bases, vous pourrez ainsi comparer avec ce que vous connaissez déjà. Et plus tard, vous pourrez parler à un maître ancien, si vous avez des questions. Ça vous va ? »
Madame est rassurée. Elle copine du chef et nous commençons la séance. Ma marge de manœuvre est réduite à sa portion congrue. Suffisamment pourtant pour glisser quelques mots, en douce, sur mon thème préféré : la prise de distance avec le « personnage ». Ce que certains appellent l’ego, qui commande nos actions de façon aveugle, jusqu’à ce qu’on ai – un jour – mesuré son emprise.
Moi : « A un moment donné, quand le corps est stable et que la respiration se pose dans le ventre, vous pouvez commencer à observer les pensées. Leur va et vient. La façon dont elles apparaissent librement, puis disparaissent quand vous les laissez faire. Sans savoir quelle pensée va bien pouvoir apparaître l’instant d’après… »
Dans les jours suivants, Madame a trouvé un moine à abreuver de questions. Ses sourcils se sont détendus, sa posture également. Et la pratique fera le reste.